Climat et insécurité alimentaire au Niger : Prévention, agroécologie et mobilité humaine

Caritas International Belgique Climat et insécurité alimentaire au Niger : Prévention, agroécologie et mobilité humaine

La sécheresse a particulièrement impacté les cultures agricoles dans plusieurs parties du pays, telles que dans la région de Zinder au sud du Niger. ©Johanna de Tessières / Caritas International

La sécheresse a particulièrement impacté les cultures agricoles dans plusieurs parties du pays, telles que dans la région de Zinder au sud du Niger. ©Johanna de Tessières / Caritas International

23/09/2022

L’insécurité alimentaire est revenue à l’agenda politique et médiatique en 2022. Au Niger, comme ailleurs, ce défi se retrouve au centre de l’adaptation climatique, où trois pistes de solutions se dessinent : investir dans la prévention des risques climatiques, transformer les systèmes alimentaires et intégrer la mobilité humaine dans le cadre des politiques.

En 2022, les habitant-e-s du Niger et du Sahel traversent leur pire période d’insécurité alimentaire depuis des décennies. Cette hausse de l’insécurité alimentaire trouve son origine dans les systèmes alimentaires défaillants face à une multitude de crises connexes. Mais les réponses continuent d’être focalisées sur l’aide d’urgence ‘réactive’, plutôt que des engagements vers des stratégies à long-terme.

Des systèmes alimentaires de plus en plus fragilisés

Plus de 80% des populations du Niger et du Sahel dépendent de l’agriculture et de l’élevage pour survivre, mais ces moyens d’existence se retrouvent particulièrement fragilisés face aux dérèglements environnementaux, sociétaux et économiques.

Le Niger est considéré comme le pays le plus vulnérable, mais également un des moins préparés, face au changement climatique.[1] Cela se voit notamment par la désertification accentuée et la répartition de plus en plus irrégulière des pluies, provoquant des sécheresses prolongées et des inondations soudaines qui endommagent les cultures agricoles, causent la perte de bétail et détruisent les infrastructures.

Suivant les instabilités politiques et les fermetures des frontières liées aux Covid-19 depuis 2020, la guerre en Ukraine a davantage affaiblit les systèmes alimentaires en impulsant une hausse généralisée des prix des produits importés (entre 18% et 40%), tels que le blé, le riz ou l’huile végétale, dont les marchés et ménages nigériens dépendent. Zoula, 30 ans et mère de 7 enfants explique : « Les ingrédients pour préparer [des galettes] sont devenus de plus en plus chers. J’ai peur d’emprunter puis de ne plus pouvoir rembourser… »

Dans le cas des régions affectées par les violences et les déplacements de populations (Diffa, Maradi, Tahoua, Tillabéry), les activités des groupes armés obstruent l’accès aux marchés et aux champs agricoles, poussant des communautés entières à devenir dépendantes de l’aide pour survivre.

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Zoula prépare des galettes qu’elle vend au marché - ©Johanna de Tessières / Caritas International

Anticiper et gérer le risque avant la crise

Les dernières analyses, dont celles du GIEC, le confirment : les désastres d’origine climatiques vont continuer de s’accentuer et de produire des crises humanitaires dans le monde. En 2022, la sécheresse prolongée au Niger a plongé des centaines de milliers d’agriculteurs et d’agricultrices à dépendre d’une aide alimentaire, tandis que les projections des Nations unies soulignent que plus de 350.000 personnes pourraient être touchées par des inondations en 2022.[2]

Dans l’urgence, des organisations humanitaires, telles que Caritas, déploient des réponses, telles que par le biais de distributions alimentaires ou de CASH. Cependant, l’incapacité à accélérer les progrès en matière de lutte contre le dérèglement climatique à travers le monde ne servira qu’à perpétuer un système où l’aide d’urgence ‘réactive’, en plus d’être sous-financée,[3] n’est pas adaptée pour répondre à des chocs cycliques d’une telle ampleur.[4]

Une des priorités doit être de renforcer la réduction des risques de catastrophe (RRC), qui permet d’éviter des interventions humanitaires plus coûteuses et plus désespérées par la suite.[5] Par exemple, plusieurs études ont démontré que chaque dollar dépensé pour des actions de RRC permet d’économiser deux fois plus en coûts humanitaires d’urgence futurs.[6]

RRC avec la communauté impactée

En pratique au Niger, les actions de la Réduction des Risques de Catastrophe (RRC) recouvrent des initiatives comme la gestion durable et communautaire des eaux, la construction de foyers améliorés (qui consomment moins de bois de chauffe), la mise en place de banques céréalières, ou même la prévention de la malnutrition infantile.

Pour qu’elles soient plus efficaces, les stratégies de prévention doivent être ancrées dans les principes de participation des communautés directement impactées.[7] Dans le cas des actions de Caritas au Niger, les analyses de risques et la mise en place des plans de RRC sont menées par les autorités, organisations et communautés locales elles-mêmes. Bien que les sociétés civiles nationales et locales jouent déjà un rôle clé face au changement climatique, elles n’ont reçu que 0,4% des financements humanitaires dans les trois pays du Sahel central en 2021.[8] De même, les paysan-e-s à petite échelle, au Niger et au-delà, sont les plus impacté-e-s par les aléas climatiques mais ne reçoivent que 1,7 % des fonds mondiaux alloués aux actions climatiques, dont l’adaptation. [9]

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Les pratiques agroécologiques, telles que promues par Caritas, sont particulièrement efficaces dans des contextes comme le Niger où l’accès à l’eau et la désertification représentent des défis de taille. ©Johanna de Tessières / Caritas International

L’agroécologie comme pilier de systèmes alimentaires durables

L’agroécologie est largement reconnue comme un ensemble de pratiques agricoles, ainsi qu’un modèle économique et de société, pouvant répondre aux enjeux climatiques et alimentaires majeurs au Niger et dans la région du Sahel. Les pratiques agroécologiques, telles que la régénération des sols, le reboisement, la polyculture, soutiennent des stratégies d’adaptation permettant de renforcer la résilience des systèmes de production alimentaire face aux désastres et à les rendre moins dépendant des énergies fossiles.[10] Les bienfaits de l’agroécologie pour la sécurité alimentaire sont également éprouvés, autant d’un point de vue quantitatif que qualitatif, mais aussi dans la lutte contre la pauvreté.[11]

L’agroécologie intègre également une dimension sociale et politique, en prônant l’équité et la participation des publics marginalisés – les familles avec des petits terrains, menées par des femmes, les plus démunies – qui ont une vulnérabilité accrue face aux risques climatiques et alimentaires dû à l’accès inégal aux ressources. Une étude de la CADEV Niger sur le droit à l’alimentation a démontré que, bien que ce droit soit encadré dans la législation et la constitution nigérienne, son exercice nécessite une mobilisation accrue afin d’influencer les politiques locales en la matière.

Malgré la reconnaissance de son apport à la sécurité alimentaire et à l’adaptation climatique, la transition agroécologique peine à être amorcée, à la fois à l’échelle mondiale et à celle du Niger. Au Niger, l’agroécologie fait face à un soutien politique limité, ainsi que plusieurs obstacles tels que l’accès aux financements, aux semences et intrants organiques, ou encore l’accaparement des terres.[12]

Dans le cadre de la coopération belge, la Coalition Contre la Faim a démontré que seulement 16% des financements dédiés à l’agriculture soutenait l’agroécologie, tandis qu’un flou persiste sur les modèles d’agriculture promus dans les financements climatiques internationaux de la Belgique.[13] D’autres approches mises en avant (telles que l’agriculture « climate-smart ») visent également à améliorer la durabilité des systèmes alimentaires, mais elles restent focalisées sur certains aspects (climat, efficience des intrants) plutôt qu’une réponse systémique aux enjeux climatiques, alimentaires et aux inégalités sous toutes leurs formes.[14]

L’apport sous-estimé de la mobilité humaine

La mobilité humaine représente également une stratégie d’adaptation aux défis climatiques et alimentaires au Niger et au Sahel. Les crises alimentaires et les désastres poussent des individus et ménages à migrer à la recherche de sources alternatives de revenus ou simplement de protection. Cherifa, 32 ans, témoigne : « J’ai l’habitude de quitter mon village. Je voyage à pied et demande la charité en chemin. Lorsque je reçois de l’argent, je monte à bord d’un véhicule pour la suite du trajet. Sur place, je travaille comme femme de ménage. Je fais la lessive, la vaisselle. »

En même temps, la migration encadrée peut avoir le mérite de soutenir les systèmes alimentaires et la sécurité alimentaire par le biais de transferts de fonds, qui éclipsent souvent le montant de l’aide au développement, et d’autres types de transferts (technologies, connaissances).[15] C’est notamment le cas pendant les périodes de soudure ou de sécheresse au Niger, où la migration circulaire vers des pays voisins (Nigéria, Libye, Algérie) peut contribuer à une gestion plus souple des manquements alimentaires et de revenus au sein du ménage.

Une récente Note stratégique de la Coopération belge[16] préconise « l’intégration systématique et transversale du thème de la migration dans les politiques, stratégies, programmes et interventions ». Il est ainsi important d’adapter les politiques et les actions en lien avec la sécurité alimentaire et l’adaptation climatiques en fonction du rôle joué par la migration dans les stratégies de résilience de chaque communauté et territoire ciblés. Cela permet d’assurer que personne ne soit laissé pour compte, y compris les ménages dans l’incapacité de migrer.

Cependant, ces efforts de cohérence des politiques continuent d’être mis en péril par les politiques (européennes) liées à la prévention des migrations et à la lutte contre leurs « causes profondes ». [17] À l’inverse d’une approche répressive, les voies sûres et légales doivent être défendues comme des mécanismes favorisant les contributions de la migration aux systèmes alimentaires, tout en minimisant les risques liés aux voies irrégulières. L’aide publique au développement doit se focaliser contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire, tout en garantissant les choix de mobilité des personnes et évitant qu’elles ne soient contraintes de migrer par manque d’alternative.

Un appel aux politiques

À travers cette analyse, Caritas International Belgique et la CADEV Niger exhortent les responsables politiques en Belgique à :

  • Contribuer d’urgence aux appels humanitaire 2022 pour le Niger et le Sahel ;
  • Dédier une attention particulière à la réduction des risques dans les actions en lien avec l’adaptation climatique ;
  • Assurer que l’implémentation des nouveaux portefeuilles bilatéral et régional (climat) prenne en compte les directives de la DGD sur l’agriculture et celles sur les liens entre les migrations et le développement ;
  • Appuyer la mise en place de voies sûres et légales, ainsi que l’application les politiques de mobilité dans la région ;
  • Soutenir les organisations de la société civile locale par des financements flexibles, multisectoriels et dans la durée ;
  • Élaborer une note d’orientation opérationnelle sur le « triple nexus » qui explique la vision et le rôle de la Belgique dans l’implémentation d’approches plus holistiques de coopération internationale en milieu fragile.


Cette analyse, rédigée en partenariat avec la CADEV Niger, est un extrait de la prochaine édition de la publication « Actions locales, leçons globales » de Caritas International Belgique.

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[1]

Selon une agrégation de facteurs environnementaux, sociaux et économiques analysée par ND-GAIN.

[3]

En 2021, les besoins humanitaires pour les pays du Sahel (2,3 milliard de dollars) n’étaient financés en moyenne qu’à 43%, contre 61% en 2020. À mi-parcours de l’année 2022, l’Appel humanitaire pour le Niger était financé à 24%. Données issues d’OCHA.

[4]

Jameel Observatory, Oxfam, Save the Children (2022) Dangerous Delay 2: The Cost of Inaction.

[7]

La localisation de l’aide est un processus collectif des différentes parties prenantes du système humanitaire (donateurs, Nations Unies, ONG) qui vise à octroyer aux acteurs locaux un rôle plus important et central. Pour plus d’informations, voir “Ancrage local et réactivité : les piliers de la réponse d’urgence de Caritas” dans Caritas International Belgique (2021) Actions locales, leçons globales : Surmonter la fragilité en RD Congo.

[8]

Données issues d’OCHA.

[15]

Pour une analyse compréhensive des liens entre les migrations et le développement, voir les rapports de Caritas International Belgique (2019) Penser une Maison Commune ; et de Caritas Europa (idem) Our Common Home.

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