Ukraine : survivre dans des caves glaciales

Caritas International Belgique Ukraine : survivre dans des caves glaciales

Mois après mois, Anna et Marina ainsi que des centaines d'autres personnes ont pris refuge dans cette cave à Kharkiv. - ©Caritas Slovaquie/Anton Frič

Mois après mois, Anna et Marina ainsi que des centaines d'autres personnes ont pris refuge dans cette cave à Kharkiv. - ©Caritas Slovaquie/Anton Frič

27/12/2022

Elles se terrent dans des caves. Elles dorment à même le sol. Elles se chauffent à peine et cuisinent avec les moyens du bord. Elle manquent de couvertures et de vêtements adaptés. Elles entendent parfois les bombes siffler. Halina, Marina, Valentyna et Anna racontent leur vie dans une Ukraine ravagée par la guerre. Avec beaucoup de courage, elles s’accrochent. Mais l’hiver arrive à grands pas et elles le redoutent plus que jamais.

La nuit, il gèle dans ma maison, mais je m’enveloppe dans mes couvertures et je me débrouille comme cela pour dormir. 

Halina

« Au début, nous dormions à même le sol »

Halina Havrilovna (69 ans) est à la retraite. Veuve, elle n’a pas d’enfants et vit dans sa petite maison avec jardin à Ruskaya Lozova, un village proche de la ville de Kharkiv. Elle travaillait auparavant dans une entreprise de stockage de fruits et légumes.

Au début de la guerre, Halina s’est réfugiée pendant trois mois à Kharkiv. Elle a dormi dans une station de métro avant d’emménager dans un appartement avec une amie. Lorsque son village a été libéré en septembre, elle y est retournée, tout comme d’autres habitant-e-s. Ils et elles s’en sortent comme ils peuvent.

Dans la rue d’Halina, il n’y a plus grand monde. La plupart de ses voisins et voisines vivent maintenant dans l’ouest de l’Ukraine, en Pologne ou en Allemagne.

« Au début, il n’y avait plus rien ici », raconte-t-elle. « Nous dormions à même le sol. Nous avons attendu une semaine pour recevoir des matelas et des sacs de couchage. Durant les trois premiers jours, nous n’avions même pas d’eau et de nourriture. »

« Ce dont j’ai le plus besoin maintenant, c’est d’un chauffage. J’avais l’habitude de chauffer ma maison au gaz, mais il n’y en a plus du tout. Mon toit est endommagé et je ne peux pas le faire réparer. Pareil pour les fenêtres : elles sont toutes cassées. J’ai utilisé du plastique pour les fermer. J’ai retrouvé des débris et des éclats de bombes dans mon jardin et même quelques grenades derrière ma maison. »

« La nuit, il gèle dans ma maison. Je m’enveloppe dans des couvertures et je me débrouille comme cela pour dormir. Durant la journée, je vais chez les voisins où il y a du chauffage. Cela me permet de me réchauffer un peu. »

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Marina et son fils de 8 ans. - ©Caritas Slovaquie/Antony Frič

« Mon fils a peur de tout »

Marina (42 ans) vit dans un quartier résidentiel de Kharkiv. Elle était comptable. Marina a un fils de 8 ans. Sa grand-mère de 84 ans refuse de quitter la ville mais a besoin de nombreux soins car elle est atteinte d’Alzheimer. Son autre grand-mère a 85 ans et souffre de la maladie de Parkinson.

« Ma mère a 67 ans, elle non plus ne voudrait pour rien au monde quitter son appartement », poursuit Marina. « Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi nous restons ici, mais moi je comprends ma mère et mes grands-mères. Ma place est avec elles. L’une d’elles s’est occupée de moi lorsque j’étais petite. Elle combinait quatre boulots et travaillait sans arrêt pour s’en sortir. Je n’ai pas eu de père. »

Le fils de Marina reste à la maison à jouer et regarder des dessins animés. « Quand la camionnette de Caritas passe nous apporter à manger et que le chauffeur claque la porte, mon fils se jette à terre. Il se couvre la tête car il a peur que des bombes tombent à nouveau. »

 Quand la camionnette de Caritas passe nous apporter à manger et que le chauffeur claque la porte, mon fils se jette à terre. Il se couvre la tête car il a peur que des bombes tombent à nouveau.

Marina 

Un jour, l’aviation russe a lancé une attaque alors que Marina et son fils prenaient le bus. Ils ont sauté hors du véhicule et se sont couchés au sol. « Tout le monde en est sorti indemne, mais depuis mon petit garçon a peur de tout. Il est vraiment anxieux. Pour moi aussi, c’est difficile. S’il fait calme pendant trop longtemps, je prends peur. Je suis incapable de dormir. Je suis constamment en mode ‘pilote automatique’. D’autres comptent sur moi et personne ne prendra ma place si j’ai un problème. »

Terrés pendant des mois dans des caves

« Lorsque je me suis réveillée le 24 février 2022, mon mari m’a appris que les Russes étaient en train de nous bombarder. Nous nous sommes immédiatement réfugiés dans la cave. Nous ne savions pas combien de temps nous allions y rester. Nous avons utilisé trois petites pièces du sous-sol comme toilettes pour tous les habitant-e-s de l’immeuble. Nous n’avions nulle part ailleurs où aller. Quand nous avons compris que nous allions devoir vivre longtemps dans les caves, nous avons sommes montés chercher une table, une petite cuisinière électrique et un ordinateur pour que les enfants puissent regarder des dessins animés. Nous utilisions l’électricité de l’appartement situé au rez-de-chaussée. »

« Grâce à des trous percés dans les murs des caves, nous pouvions faire passer de la nourriture et des objets d’une maison à l’autre. Caritas a livré de la nourriture au premier immeuble, mais les bombardements étaient trop intenses pour passer chez tout le monde. Nous avons donc creusé ces trous entre les maisons pour pouvoir distribuer la nourriture aux autres immeubles. »

Pendant six mois, Marina et des centaines d’autres personnes sont restées terrées. Une routine s’est mise en place : les premiers éveillés préparaient la nourriture. Il fallait parfois couper du pain pour 130 personnes. Pendant la journée, les habitant-e-s formaient plusieurs équipes pour cuisiner. En cas de coupure de courant, Caritas leur apportait de la soupe chaude et des pommes de terre.

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Pendant six mois, Marina et des centaines d’autres personnes sont restées terrées dans cette cave, dans des conditions très sommaires. - ©Caritas Slovaquie/Antony Frič

« Dans une des pièces, nous avons même aménagé une école de fortune pour les enfants. On appelait cet endroit la chambre wifi, car on y avait accès à internet. Les enfants suivaient des cours en ligne, parfois aidés par des adultes. »

Quand il pleut, les sous-sols sont régulièrement inondés et les conditions se détériorent encore. « J’espère que nous trouverons une solution à ces problèmes d’infiltration d’eau, sinon nous ne pourrons plus nous réfugier à la cave. »

Puiser dans ses dernières économies

Valentyna Tomylina (48 ans) a trois enfants et cinq petits-enfants. Divorcée, elle travaillait avant la guerre dans une usine de viande. Ses enfants et petits-enfants ont été éparpillés en Ukraine et en Russie.

Actuellement, Valentyna est sans revenus. Elle n’a pas reçu d’argent depuis mars 2022. Elle survit grâce à ses économies et à l’aide humanitaire. Valentyna a quitté sa maison avant l’arrivée des Russes et a vécu dans le métro de Kharkiv pendant 5 mois.

Lorsqu’elle a pu rentrer chez elle, son domicile avait été cambriolé. Les toilettes et le réfrigérateur avaient été volés et ses vêtements jonchaient le sol de la maison. « Tout était humide et sale. Il avait plu pendant des mois à travers le toit percé. »

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Valentyna et une travailleuse de Caritas - ©Caritas Slovaquie/Antony Frič

En temps de paix, ma maison était toujours pleine d'enfants. Aujourd’hui, ma maison est vide et moi aussi je me sens vide. Sans mes petits-enfants, je me sens très seule.

Valentyna

Valentyna doit se débrouiller seule et coupe elle-même du bois pour se chauffer. « Mon toit a été détruit par les bombes, j’ai dû le réparer. »

« Tout ce que je désire, c’est la paix », dit-elle. « J’ai besoin de bois pour mon poêle parce que l’hiver sera très rude et qu’il n’y a pas de gaz pour le moment. En temps normal, ma maison était toujours pleine d’enfants. Aujourd’hui, ma maison est vide et moi aussi je me sens vide. Sans mes petits-enfants, je me sens très seule. »

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Anna est volontaire pour Caritas et s'occupe entre autres des enfants, comme ici avec une activité récréative. - ©Caritas Slovaquie/Antony Frič

« C’est moi qui m’occupe du chien des voisins, maintenant »

Anna Tarshylova (35 ans) vit dans sa cave depuis le début de la guerre. C’est là qu’elle se sent le plus en sécurité, même si entretemps sa ville a été libérée. Anna aime les enfants sans en avoir elle-même. Elle apporte donc son aide à des mamans. En temps de paix, elle était comptable.

Comme le reste de sa famille, Anna est restée à Kharkiv. Son arrière-grand-mère y vit depuis l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle avait six ans lorsque les Allemands sont arrivés et s’en souvient encore. La vieille dame n’a pas la moindre intention de partir.

Anna partage son sous-sol avec sa voisine Marina. « Beaucoup de gens ont quitté les lieux », explique-t-elle. « Des voisins nous ont laissé leur chien car ils ne savaient pas si l’animal serait autorisé à passer la frontière : 2 kilos de joie pure ! »

Un autre voisin, un homme de 66 ans, avait pris la décision de rester malgré ses problèmes cardiaques. « Je ne sais pas comment il a fait, avec toutes ces bombes partout », s’interroge Anna. « Son fils l’a finalement convaincu d’aller en Pologne. Un voisin souffre de diabète. Il voulait rester mais ne parvenait pas à se procurer de l’insuline, alors sa famille l’a fait transférer en Ukraine occidentale. »

Anna a moins froid dans la cave que dans son appartement du 7e étage. « Parfois il y a du chauffage et de l’eau, et parfois non. »

Le simple fait d’acheter du pain est devenu problématique : impossible de s’en procurer à moins de 4 km. Soit 23 minutes, parfois sous les bombes avec la peur au ventre. « Un jour, j’ai fait le chemin en 21 minutes, alors que des bombes tombaient tout autour », raconte Anna.

Tout manque : bougies, chaussettes, chaussures d'hiver…

Anna aspire elle aussi au retour de la paix. « La priorité aujourd’hui, c’est de trouver du matériel pour cuisiner et nous chauffer. Nous manquons aussi de récipients adaptés pour stocker l’eau et d’équipements de base comme des bougies, des chaussettes, des chaussures d’hiver, des piles, des lampes et des batteries pour charger les téléphones pendant les coupures de courant. Impossible d’en trouver pour le moment à Kharkiv. »

La nourriture et les médicaments fournis par Caritas viennent à point nommé. Caritas s’occupe même des chiens abandonnés par les familles en fuite. « Le prix des langes a tellement augmenté que nous ne sommes plus capables d’en acheter nous-mêmes », explique Anna. « Certains appartements ont été complètement détruits. Leurs habitant-e-s n’ont plus rien. »

Anna est devenue volontaire chez Caritas. Elle n’a pas son pareil pour s’occuper des enfants et donne de précieux coups de main avec la comptabilité.

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