Quel lien entre la sécurité alimentaire et la migration ?

Caritas International Belgique Quel lien entre la sécurité alimentaire et la migration ?
03/08/2018

Depuis toujours, les migrations saisonnières et circulaires permettent aux familles de manger suffisamment dans de nombreux pays en développement. Il s’agit d’une stratégie d’adaptation. Mais quel est exactement l’impact de cette migration sur les systèmes alimentaires dans le Sud ? Comment les politiques européennes de développement et de migration affectent-elles ces systèmes alimentaires ? Anna Knoll, experte en migration au centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM) nous l’explique.

Quel est le lien entre sécurité alimentaire et migration ?

Anna Knoll : L’une des stratégies que les gens utilisent quand ils n’ont pas assez de nourriture est la mobilité. La migration peut être une stratégie d’adaptation positive. Par exemple, si un ménage n’a pas suffisamment à manger, un membre de la famille peut migrer dans le but de travailler et ainsi envoyer de l’argent ou des produits alimentaires à sa famille.

Le lien peut aussi être plus complexe que cela : les revenus supplémentaires générés par la migration peuvent être investis. Par exemple, des outils agricoles peuvent être achetés ou investis dans une petite entreprise qui crée alors de l’emploi. La migration est alors à la base de la production de valeur ajoutée dans l’économie, notamment au niveau de l’alimentation et de l’agriculture.

Cependant, la migration n’a pas toujours un effet positif sur la sécurité alimentaire. Dans certains cas, par exemple lors de la migration de la campagne vers la ville, la personne migrante peut ne pas trouver de travail et se retrouver ainsi dans une situation précaire. Parfois, elle doit alors être soutenue par leur famille alors que la stratégie originale était justement d’améliorer leurs moyens de subsistance.

Est-ce que tous les ménages recourent à cette stratégie de migration ?

A.K. : Non, pas nécessairement. Il y a beaucoup de personnes qui ont toutes les raisons de migrer pour améliorer leur situation mais qui ne le font pas parce qu’elles manquent de ressources, de réseaux et de capacités nécessaires. Lorsque nous parlons de migrations, nous oublions souvent les personnes qui ne peuvent pas migrer. Celles qui sont coincées dans des circonstances précaires ou dangereuses. Celles qui ne peuvent pas migrer peuvent être très vulnérables.

Il est important que les décideurs politiques ne les oublient pas. Surtout quand leurs politiques rendent la mobilité plus difficile ou plus dangereuse.

Quelle implication pour la coopération au développement ?

A.K. : Depuis que la politique de coopération au développement est axée sur la lutte contre les causes profondes de la migration, l’accent est mis principalement sur les communautés qui migrent ou qui sont susceptibles de migrer. Dans certains cas, ce sont aussi les plus vulnérables mais ce n’est pas toujours le cas. La question est, je crois, de savoir si nous voulons nous concentrer sur les communautés les plus vulnérables ou les plus mobiles.

Favoriser des voies sures de migration sûres est donc important pour la sécurité alimentaire ?

A.K. : Oui. La migration est une stratégie d’adaptation positive pour parvenir à plus de sécurité alimentaire mais toutes les migrations ne sont pas réussies. Les chances de succès sont plus grandes si les gens peuvent se déplacer relativement facilement et de manière sûre. Sinon la personne migrante se retrouve dans une situation précaire et la situation de la famille est encore pire qu’avant.

Nous devons nous rappeler que la migration est essentielle pour les systèmes alimentaires dans de nombreuses régions où il y a des pénuries alimentaires. Dans ces régions, les migrations saisonnières et les migrations circulaires sont une stratégie de survie depuis des siècles. Par exemple, j’ai travaillé à la frontière entre l’Ouganda et le Soudan du Sud. Beaucoup de réfugiés sud-soudanais s’y sont installés. En raison du conflit dans leur pays, leurs activités agricoles ont également été perturbées. En Ouganda, ils sont en sécurité et ont accès à de la nourriture ainsi qu’à des soins de base. Pourtant, un ou deux membres du ménage vont et viennent de l’autre côté de la frontière pour continuer à s’occuper de leur bétail ou de leurs récoltes au Soudan du Sud. Dans certains cas, un des membres de la famille travaille dans la ville et envoie de l’argent. La mobilité est donc au cœur de la stratégie du ménage pour s’assurer que tout le monde ait suffisamment à manger. Si nous fermons les frontières ou rendons la migration des personnes difficile, cela perturbera aussi le système économique et donc causera plus d’insécurité alimentaire.

Il existe en Europe la crainte que tous les migrants souhaitent rejoindre le vieux continent. Qu'en pensez-vous ?

A.K. : Eh bien, pour l’instant, ce n’est certainement pas le cas. Nous constatons que la mobilité à l’intérieur du continent africain est toujours supérieure à la mobilité de l’Afrique vers les autres continents, même si vous incluez la migration vers le Moyen-Orient[1].

Il est très difficile de prédire l’avenir, même s’il est probable que les causes de la migration vont augmenter. La population va augmenter mais aussi la pression sur l’environnement résultant des changements climatiques. Ce qui, à son tour, va conduire à des conflits. Mais cela dépend fortement de la politique qui sera mise en place pour faire face à ces changements. Toutefois, il est fort probable que la pression du changement climatique sur les ressources entraînera plus de migrations régionales que de migrations internationales. Mais comme je l’ai dit, c’est difficile à prévoir. La grande instabilité et les conflits dans la région, comme nous l’avons vu avec la situation en Syrie, peuvent soudainement déclencher un grand nombre de personnes qui se déplacent en même temps.

Comment pouvons-nous inverser le discours négatif autour de la migration?

A.K. : L’Europe réalise un grand écart pour le moment.

D’une part, vous avez des accords internationaux tels que le Pacte mondial pour la migration et les objectifs de développement durable (ODD) qui apportent une histoire positive sur la migration. Je pense que certains États membres de l’Union européenne y jouent un rôle important. D’un autre côté, vous avez aussi des pays comme la Hongrie qui quittent les négociations du Pacte mondial sur la migration en disant que la migration est négative.

Je pense que le message doit être que la migration est une réalité pour de nombreuses personnes, qu’elle fait partie du développement et de la transformation des pays et des sociétés. Et je pense principalement aux pays en développement où les mouvements transfrontaliers constituent la base de leur économie, de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance des populations. Il est plutôt cynique de dire que c’est négatif.

Pour changer ce discours, il faut jeter un coup d’œil hors de notre bulle européenne. Nous sommes plutôt concentrés sur les réfugiés parce que c’était le défi des dernières années en Europe. Mais ce n’est qu’une petite partie de ce à quoi ressemble la mobilité dans le monde. Je pense que le défi consiste à continuer à nuancer et à garder le message que la migration est une réalité qui peut avoir de nombreux avantages.

Quel est le rôle des objectifs de développement durable pour l'amélioration de la sécurité alimentaire ?

A.K. : Pour la première fois, il existe un cadre international qui reconnaît le rôle essentiel de la migration en tant que moteur du développement. De plus, les ODD sont transversaux, de sorte qu’ils relient différents domaines politiques. C’est un cadre solide. Mais en même temps, il est paradoxal que l’Europe, au moment de négocier les ODD, ait commencé à se concentrer sur les causes profondes de la migration sans faire de lien avec les ODD dans ses politiques ou à rechercher une plus grande cohérence politique.

Je pense donc que nous devons faire des ODD la force motrice de tout ce que nous faisons.

Autres rendez-vous

Cet entretien a été réalisé dans le cadre de la campagne #whatishome à travers laquelle nous explorons les liens entre le développement et la migration. La semaine passée, nous avons rencontré Frédéric Docquier sur la question des facteurs qui influencent la migration du Sud vers le Nord.

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#whatishome est une campagne de trois ans menée dans 11 pays par 12 Caritas. Elle fait partie du projet MIND qui reçoit le soutien financier du programme de l’Union européenne pour la sensibilisation et l’éducation au développement (DEAR). Pour plus d’informations, c’est par ici. Ce contenu relève de la responsabilité de Caritas International, et ne reflète pas nécessairement la position de l’Union européenne. 

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[1]

Sur ce sujet, découvrez notre entretien avec le professeur Frédéric Docquier. Il revenait sur les facteurs qui influencent la migration du Sud vers le Nord.

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