En 2015, le nombre de demandes d’asile atteignent des records dans la plupart des pays européens. Cette situation amène les personnalités politiques européennes à chercher des moyens pour endiguer ces arrivées. Avec pour mesure phare : l’Accord scellé entre l’UE et la Turquie.[1] Cet accord contient différentes mesures dont l’objectif est de lutter contre la migration irrégulière depuis la Turquie. L’UE promet notamment de soutenir financièrement la Turquie afin qu’elle retienne et accueille les réfugié-e-s sur son sol. Elle s’engage également à augmenter les personnes réinstallées depuis la Turquie en échange du retour des réfugié-e-s arrivé-e-s en Grèce par bateau.
Les dommages collatéraux de l’Accord entre l’Europe et la Turquie
Seulement voilà, sur les îles grecques, la plupart des migrant-e-s et réfugié-e-s restent des mois, voire des années, dans des camps délabrés et surpeuplés. Cette situation est une conséquence directe de l’accord avec la Turquie, puisque du jour au lendemain les personnes n’étaient plus autorisées à voyager. Les îles sont ainsi devenues des prisons à ciel ouvert. Les organisations de la société civile, la population locale et les journalistes sur place ont inlassablement dénoncé la situation ces quatre dernières années. Entre temps, plus de 40.000 personnes sont en attente du traitement de leur demande d’asile.[2] L’accord avec la Turquie n’a pas empêché les traversées – qui se poursuivent et qui continuent à coûter des vies.
>>À LIRE AUSSI: “Îles grecques : La honte de l’Europe s’intensifie”
La situation n’est pas uniquement devenue insoutenable pour les demandeurs/euses de protection internationale, mais aussi pour la population locale, les ONG et les volontaires sur place. Les tensions rendent le travail humanitaire encore plus difficile.
Grèce : les États frontaliers en charge du sale boulot
Les états aux frontières de l’UE sont laissées à leurs seules responsabilités par les autres États membres. Avec pour résultat là aussi, le pourrissement de la situation humanitaire de ces personnes. La Grèce compte plus de 5.500 mineurs non-accompagnés dont la plupart vivent sans accès aux services de base (dont notamment le logement, les soins médicaux, les services psychosociaux et de soutiens juridiques).[3] Sans compter, les citoyen-ne-s européen-ne-s de la périphérie qui se sentent abandonnés par Bruxelles. Cette impasse ronge lentement mais sûrement le projet européen.
La majorité des réfugié-e-s accueilli-e-s dans les pays du Sud
Bien que les États membres frontaliers de l’UE subissent une forte pression migratoire, ce sont surtout les pays du Sud qui accueillent le nombre le plus important de réfugié-e-s à l’échelle mondiale (86 %). C’est notamment le cas de la Turquie. Aucun pays n’accueille autant de réfugié-e-s puisque 3.7 millions de réfugié-e-s vivent sur le sol turc, dont 3.6 millions en provenance de Syrie.
La réinstallation de ces personnes doit faire partie de la solution.[4] Néanmoins, l’UE – l’une des régions les plus riches au monde – ne couvre seulement 1,6% des besoins mondiaux en matière de réinstallation.[5] Par ailleurs, le nombre de réfugié-e-s effectivement réinstallé-e-s vers les États membres est bien inférieur au nombre de places promises. En Belgique, par exemple, les activités de réinstallation ont déjà été gelées à plusieurs reprises. Année après année, ces retards ont entraîné une baisse des arrivées effectives vers la Belgique.
>> RECOMMANDEZ POUR VOUS : “Demande au prochain gouvernement d’accueillir au minimum 8.085 réfugiés en 3 ans”
En plus de la réinstallation, l’UE s’est engagée à soutenir financièrement et sur le plan humanitaire les pays qui accueillent un grand nombre de réfugié-e-s (politique de “l’accueil dans la région”). Elle a prévu 6 milliards d’euros de soutien à la Turquie dans le cadre de l’accord avec celle-ci. Ce soutien expirera dans les mois à venir, mais il n’est pas encore clair s’il se poursuivra. La proposition de budget pluriannuel pour l’UE actuellement sur la table ne semble plus inclure de soutien à la Turquie pour l’accueil des réfugié-e-s. Par ailleurs, il n’est toujours pas clair en quoi les milliards de l’UE ont apporté des perspectives concrètes et durables aux 3,6 millions de réfugié-e-s syrien-ne-s sur le sol turc.
Migrant-e-s et réfugié-e-s : un moyen de pression politique inadmissible
Toute condamnation de la situation à la frontière gréco-turque doit s’accompagner d’une analyse critique de l’actuelle politique migratoire européenne et de sa politique étrangère. Dans la province d’Idlib, en Syrie, près d’un million de personnes sont prises au piège, à la merci des conditions hivernales, coincées entre les bombardements et une frontière turque qui reste fermée.
>>À LIRE AUSSI : “Invasion turque en Syrie : plus de 150.000 personnes prennent la fuite”
Qu’il s’agisse de la dégradation de la situation sur les îles grecques, sur la route des Balkans ou à la frontière turque, ces drames humains sont en partie causés par le repli sur soi européen et une politique d’accueil médiocre, davantage axée sur le contrôle des frontières et la gestion de crise que sur une vision à long terme.
La Turquie a bien compris que l’UE ne se sentira obligée de réagir que si elle est menacée par une “crise migratoire”. Il est scandaleux que les réfugié-e-s soient utilisé-e-s dans ce chantage diplomatique. Les États membres européens sont désormais confrontés à un choix fondamental : l’Europe forteresse avec les conséquences humanitaires dramatiques qu’on connait, ou une politique migratoire commune, solidaire et durable. Dans les prochaines semaines, la Commission européenne finalisera un nouveau pacte européen sur l’asile et les migrations. Si la manière dont l’UE a réagi cette semaine est un signe annonciateur de la nouvelle approche, elle n’augure rien de bon. Elle renforce l’image d’un continent sourd aux cris de détresse des personnes dans le besoin.
La situation peut encore changer
Mais, ceci n’est pas notre Europe. Que cette crise soit une occasion pour l’Europe de faire les choses autrement. Dans cette optique, nous exhortons les États membres de l’UE, et en particulier la Belgique à …
- Investir dans les voies d’accès sûres et légales, comme la réinstallation et le regroupement familial, afin d’atténuer la pression sur les États aux frontières et d’éviter qu’ils ne ferment leur frontières sous la pression ;
- Développer aussi rapidement que possible un plan de répartition européen humain et solidaire où tous les États membres portent leurs responsabilités en matière de protection des personnes réfugiées ;
- Veiller à ce que les droits humains fondamentaux et la dignité humaine de toutes les personnes migrantes soient garantis et respectés sur le territoire européen et à ses frontières ;
- Aborder la thématique de la migration de manière humaine et décente et s’abstenir d’utiliser un langage militaire, incendiaire et effrayant qui met en danger la vie des personnes migrantes et réfugiées, mais aussi des travailleurs/euses humanitaires.
Cet article est écrit dans le cadre du projet MIND qui reçoit le soutien financier du programme de l’Union européenne pour la sensibilisation et l’éducation au développement (DEAR). Ce contenu relève de la responsabilité de Caritas International, et ne reflète pas nécessairement la position de l’Union européenne.