Changement climatique, une cause fondamentale de la migration ?

Caritas International Belgique Changement climatique, une cause fondamentale de la migration ?
27/08/2018

Le nombre de tempêtes, de sécheresses et d’inondations a triplé au cours des trente dernières années. Le changement climatique est un fait. Les communautés vulnérables au Sud en sont les principales victimes. La migration est-elle une partie du problème ou, au contraire, de la solution ? Lore Van Praag, sociologue de l’Université d’Anvers, dirige une recherche spécifiquement sur la migration climatique. Compte-rendu écrit et vidéo de notre entretien.

Peut-on parler de migrants ou de réfugiés climatiques ?

Lore Van Praag : Oui. Je pense que beaucoup de personnes migrent à cause du changement climatique et de ses conséquences sociales, politiques et économiques.

Si vous analysez les raisons qui ont poussé la plupart des personnes à migrer, par exemple vers l’Europe, vous verrez que le changement climatique a souvent joué un rôle. La migration climatique n’est pas qu’un enjeu pour le futur, c’est une tendance qui existe déjà depuis plusieurs années. Cela n’est pourtant que peu reconnu.

L’image des réfugiés climatiques est typiquement celle de personnes habitant sur une île et qui sont forcées de la quitter à cause de l’élévation du niveau de la mer. C’est le cas de l’île de Kiribati[1] par exemple. Bien qu’il s’agisse effectivement d’une forme de migration climatique, le lien entre migration et changement climatique est rarement aussi direct.

Pour résumer, j’estime que beaucoup de personnes pourraient être considérées comme étant des réfugiés climatiques bien qu’elles ne soient pas catégorisées comme tels.

Devrions-nous créer une nouvelle catégorie de protection internationale pour les réfugiés/migrants climatiques ?

L.V.P. : Le climat met une pression sur la catégorisation traditionnelle des causes de la migration – comme la pauvreté, la faim, la migration économique, les problèmes politiques et les confits. Il est en effet très difficile de vérifier si le changement climatique a eu un rôle sur la migration. Prenez l’exemple des inondations dans le Kerala[2] : sont-elles la conséquence du changement climatique, ou celle d’une mousson inhabituellement forte ? Si l’on crée une catégorie spécifique pour les réfugiés climatiques, un lien causal entre migration et climat devra être démontré pour la région d’origine de la personne qui viendrait réclamer ce statut.

Le terme « réfugié » implique que la personne a été forcée à migrer en raison d’une menace directe pour sa vie. Mais comment appliquer ce principe au cas des îles Kiribati où le danger est prévisible (les habitants savent dès à présent qu’ils devront partir) mais ne se concrétisera que dans le futur ? Est-il nécessaire d’attendre le désastre avant de leur accorder un statut de réfugié climatique ?

Ces deux constats expliquent pourquoi l’élaboration d’une catégorisation pour la migration climatique s’avère difficile. Peut-être devrions-nous réfléchir au-delà, et penser à un nouveau système encadrant l’octroi d’un nouveau statut de protection ? Une reconnaissance du statut m’apparaît dans tous les cas importante car elle témoigne que les personnes concernées ne migrent pas par plaisir. Malgré la difficulté de l’élaboration d’une catégorie pour les réfugiés climatiques, je pense que les décideurs politiques doivent prendre en compte ces personnes qui migrent à cause du changement climatique.

Vous avez fait une recherche sur le climat et la migration au Maroc. Comment les personnes s’y adaptent-elles aux conditions de vie changeantes ?

L.V.P. : J’ai entrepris une recherche dans la région de Tinghir, une région fortement affectée par le changement climatique. La sécheresse a toujours été un problème (les années 50 ont connu des conflits autour de l’eau) et ce problème perdure aujourd’hui. Le lit de la rivière est de plus en plus souvent sec, les canaux souterrains ont disparu et la désertification est de plus en plus importante. Avec le recul, nous savons qu’il s’agit d’une conséquence du changement climatique.

Par le passé, les personnes vivaient grâce à un morceau de terrain qui assurait leur subsistance grâce aux fruits et légumes produits. En raison de la dégradation des sols, de la désertification et de la sécheresse, combinées à d’autres facteurs tels que la croissance démographique et le changement du niveau de vie, cette parcelle de terre ne suffit plus pour couvrir les besoins. Les jeunes partent alors travailler dans les usines de la ville, ce qui leur permet d’envoyer de l’argent à leur famille. Il s’agit souvent de la ville voisine – qui devient à la fois un lieu d’arrivée pour les habitants des villages avoisinants et un point de départ pour les personnes qui veulent se rendre dans une ville encore plus grande.

Si les récoltes étaient meilleures, peut-être que ces jeunes montreraient plus d’intérêt à rester à la campagnes. D’autant plus que la vie en ville n’est pas facile: difficultés à trouver un emploi, à vivre avec d’autres jeunes, etc. Fonder une famille est souvent compliqué. Ceci explique l’orientation académique de beaucoup jeunes : ils optent pour une profession – typiquement l’enseignement – qui leur permet d’exercer dans leur village d’origine.

Quel est le rôle des migrants pour les communautés d'origine ?

L.V.P. : Premièrement, nous constatons que les remises [NDLR : l’argent ou les biens que les migrants envoient à leur famille] sont importantes pour l’économie locale et que les montants totaux sont conséquents. Ceux qui reçoivent ces remises dépendent moins de l’agriculture et se voient offrir d’autres possibilités – typiquement l’ouverture d’un café qui n’aura pas tellement besoin d’être rentable pour pouvoir fonctionner grâce à l’aide extérieure. Toutefois, ces envois de fonds divisent la population en deux et exacerbent les inégalités. Le changement climatique aggrave effectivement les inégalités. Non seulement les inégalités de revenus, mais aussi entre les sexes. Le fait est que ce sont principalement les femmes qui travaillent dans les champs. Dès lors, si leur champ est affecté par le changement climatique, elles deviendront beaucoup plus dépendantes de leur conjoint et des autres membres de la famille.

Deuxièmement, nous constatons que les personnes qui vivent à l’étranger sont plus conscientes de l’existence même du changement climatique. Les personnes âgées se rendent compte que les choses changent, mais elles ne comprennent pas l’origine. Certains migrants mettent cette connaissance à profit pour leu région d’origine. Au Maroc, par exemple, j’ai visité un projet d’un migrant marocain qui vit en Catalogne. Il a investi dans un système fait à partir de panneaux solaires qui permet de recueillir et pomper l’eau malgré l’aridité du sol. Grâce à ce projet, il a réussi à cultiver des palmiers et récolter des dattes de qualité. Il a en même vendu et les habitants du quartier ont tous eu droit à une parcelle. La Catalogne a finalement décidé de subventionner ce projet, qui est un bon exemple de la manière dont les envois de fonds peuvent être utilisés pour ceux qui en ont le plus besoin.

Comment est-ce que le gouvernement marocain gère les effets de ce changement climatique ?

L.V.P. : Le gouvernement marocain installe des barrages depuis des décennies. Ceci est évidemment très positif pour une grande partie de la population, mais une autre est contrainte de perdre sa maison. Par ailleurs, comme le barrage est sous-traité à une entreprise qui doit générer du profit, les gens doivent soudainement payer leur eau.

Les mesures pour s’adapter au changement climatique ne s’opèrent pas dans un vide social – point également crucial pour la coopération au développement. Cela implique que différents domaines politiques doivent travailler ensemble autour d’une vision commune. Cette nécessité de travail commun explique également les difficultés de mise en oeuvre d’accords internationaux, comme l’accord de Paris sur le climat par exemple.

Pensez-vous que le changement climatique va provoquer plus de migrations ?

L.V.P. : Ce qui importe dans le débat sur le changement climatique est la manière dont nous nous y adapterons. La migration est l’un des moyens de faire face au changement climatique. Mais pas le seul. Certaines personnes seront mieux préparées que d’autres, elles seront donc moins affectées par les effets du réchauffement climatique. Le facteur humain est important afin d’évaluer l’évolution d’une situation. Si une guerre ou des catastrophes sont prévisibles, les gens vont inévitablement partir.

Le changement climatique ne va faire que s’accroître. Il est donc probable que la migration augmentera en tant que stratégie d’adaptation. Ce type de migration est généralement très local et ne s’opère que rarement sur des grandes distances, car il est très difficile et coûteux d’entreprendre un long voyage. Ceux qui n’ont pas les moyens de partir, les populations « prises au piège », sont souvent celles qui souffrent le plus du changement climatique.

#whatishome

Cette interview a été réalisée dans le cadre de la campagne #whatishome à travers laquelle nous explorons les liens entre développement et migration. Les experts Frédéric Docquier (UCL) et Anna Knoll (ECDPM) se sont déjà exprimés. Lisez également notre article sur l’agriculture face au changement climatique.

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Vidéo de l'interview


#whatishome est une campagne de trois ans menée dans 11 pays par 12 Caritas. Elle fait partie du projet MIND qui reçoit le soutien financier du programme de l’Union européenne pour la sensibilisation et l’éducation au développement (DEAR). Pour plus d’informations, c’est par ici. Ce contenu relève de la responsabilité de Caritas International, et ne reflète pas nécessairement la position de l’Union européenne. 

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[1]

Kiribati est une république insulaire en Océanie. D’après le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les deux tiers du pays seraient inondés si le niveau de la mer montait d’un mètre. L’État insulaire est à l’élaboration d’un plan d’urgence pour protéger ses 110.000 habitants

[2]

Au cours de l’été 2018, de fortes inondations ont touché l’État indien du Kerala en raison de précipitations exceptionnellement fortes pendant la mousson.

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