« Nos jeunes ont besoin de rencontrer des personnes qui puissent leur redonner confiance »

Caritas International Belgique « Nos jeunes ont besoin de rencontrer des personnes qui puissent leur redonner confiance »

Karen Nachtergaele - Christel (à gauche) a aidé Ana (à droite) dans sa recherche pour un emploi

Karen Nachtergaele - Christel (à gauche) a aidé Ana (à droite) dans sa recherche pour un emploi

17/07/2019

Comment garantir l’accès au marché de l’emploi aux jeunes issus de l’immigration ? DUO for a JOB tente de relever ce défi en valorisant les compétences et l’expérience des personnes de plus de 50 ans. Entretien avec Julie Bodson, coordinatrice plaidoyer.

Caritas International Belgique « Nos jeunes ont besoin de rencontrer des personnes qui puissent leur redonner confiance »Caritas International Belgique « Nos jeunes ont besoin de rencontrer des personnes qui puissent leur redonner confiance »

Quel est l’objectif de l’organisation DUO for a JOB ?

Julie Bodson : Notre organisation[1] forme des duos composés de personnes bénévoles de plus de 50 ans (mentors) qui aident des jeunes issus de l’immigration[2] (mentees) dans leur recherche d’emploi. Ce programme permet donc, en plus d’aider ces jeunes dans leur recherche d’emploi, de valoriser l’expérience de nos aînés.

Ainsi la rencontre est au cœur du projet de DUO for a JOB ?

Julie Bodson : Tout à fait. Créer ces duos permet de construire des ponts et de déconstruire les préjugés en suscitant la rencontre entre deux groupes de personnes qui ont peu l’occasion de se croiser.

Les mentors sont heureux de rencontrer cette jeunesse issue de l’immigration et de comprendre cette réalité qu’ils ne connaissaient pas. L’une de nos mentors nous a récemment dit : « Quelle richesse de découvrir l’autre, indépendamment de sa nationalité ou de sa personnalité. Je croyais sincèrement connaître Bruxelles depuis ma plus tendre enfance. En réalité, j’ignorais totalement la réalité sociale, urbaine et pourtant quotidienne de certains quartiers. Mon regard a totalement changé sur ma ville ».

Certains mentees nous ont également expliqué qu’ils n’avaient jamais rencontré de Belge d’origine belge ailleurs qu’à un guichet ou un comptoir.  Avec ce programme, ils se rendent alors compte qu’il est possible de nouer une relation positive, bienveillante et accueillante avec des Belges.

Quelles sont les difficultés que rencontrent les mentees sur le marché de l’emploi ?

Julie Bodson : Les jeunes rencontrent surtout des problèmes liés à une discrimination basée sur l’origine ethnique ainsi qu’à la connaissance des langues et la difficulté à valoriser leur expérience et leurs diplômes.

Une analyse comparative dans le temps montre qu’à leur arrivée chez DUO for a JOB, les jeunes pensent que leurs difficultés sont le résultat d’un manque de technique en matière de recherche d’emploi. A posteriori, ils expliquent que les blocages étaient en réalité plutôt liés à un manque de réseau, de capital social et de confiance en eux.

Au contact de leur mentee, certains mentors ouvrent les yeux sur les difficultés auxquels font face les personnes issues de l’immigration sur le marché de l’emploi. « C’est incroyable ! » s’est un jour indigné un mentor qui avait travaillé toute sa vie dans le privé et qui n’avait pour ainsi dire jamais été en contact avec des personnes d’origine immigrée. « Mon mentee veut simplement obtenir un permis de conduire et, parce qu’il est Palestinien, c’est le parcours du combattant ! ». Les mentors acquièrent une vision réaliste des jeunes et de leur parcours. Ils deviennent du coup des ambassadeurs de la non-discrimination dans leur propre communauté, au sein de groupes qui ne seraient pas nécessairement sensibilisé à ces questions.

Que font les mentors face à ces difficultés ?

Julie Bodson : Les jeunes issus de l’immigration forment un groupe hétérogène. Leur appliquer des solutions homogènes n’a donc pas de sens. Seule une réponse individuelle qui tient compte des profils, des besoins spécifiques et des envies de chacun peut fonctionner.

Les mentors prennent donc tout d’abord le temps d’écouter et de soutenir le jeune. Les jeunes ont vraiment besoin de rencontrer des personnes bienveillantes qui puissent leur redonner confiance en eux, leur dire qu’ils ont des compétences et qu’ils ont leur place au sein de notre société.

Le rôle des mentors est également de trier et rendre intelligible l’information, de faire du lien, notamment pour identifier les services publics ou associatifs compétents.

Est-ce que ce programme permet aux mentees de trouver un emploi ?

Julie Bodson : Globalement, nous constatons que le mentoring a un réel impact : 3 jeunes sur 4 accompagnés par notre association trouve un emploi, une formation ou un stage dans les 12 mois. Et c’est important, parce que cela montre qu’avec un soutien suffisant et adapté à leurs besoins spécifiques, les jeunes issus de l’immigration arrivent tout à fait à trouver du travail.

Le travail du mentor n’est pas uniquement d’accompagner son mentee dans sa recherche d’emploi. Il s’agit également de l’aider à développer un projet professionnel. Beaucoup de mentees ne parviennent en effet pas à se projeter ou croient qu’ils ne pourront jamais travailler dans tel ou tel secteur. Le travail du mentor est donc aussi de lui ouvrir le champ des possibles en fonction de ses envies, de ses rêves et de ses compétences.

Ce manque de capital social et de connaissance du marché de l’emploi est d’autant plus important chez les primo-arrivants. C’est ainsi qu’une jeune syrienne nous expliquait lors de son premier entretien qu’elle voulait très précisément travailler au guichet chez Bpost. C’était sa réponse à la question du projet professionnel. Lorsque nous lui avons alors demandé si c’était le travail de vente ou l’aspect administratif qui l’intéressait, elle a répété qu’elle désirait travailler au guichet chez Bpost. En fait, elle n’avait aucune idée du marché de l’emploi en Belgique et aucune ressource dans son entourage pour s’y orienter.  C’est un bon exemple de l’incapacité des primo-arrivants à se projeter sur un marché qu’ils ne connaissent pas. Pendant six mois, son mentor lui a fait découvrir tous les métiers qui existaient et elle a finalement repris des études de puéricultrice.

Bien entendu, certains jeunes sont contraints de trouver du travail rapidement pour des raisons financières. Dans ces cas-là, les mentors s’attèlent en parallèle à la recherche d’un job alimentaire et à la création d’un projet professionnel à plus long terme.

Est-ce que votre projet s’adresse également aux réfugiés ?

Julie Bodson : Oui. Près de la moitié de nos jeunes bénéficient d’une protection internationale. Ce public rencontre certaines difficultés spécifiques. Nous constatons dans notre travail que la manière dont ils sont accueillis – dans les centres d’accueil, durant la procédure, etc. – a un impact sur leur recherche d’emploi. Pourquoi ? Car cela affecte la confiance qu’ils développent envers les institutions publiques mais également la croyance qu’ils pourront (ou non) trouver leur place au sein de la société. Ce constat montre l’importance de la mise en place de certaines politiques : un accompagnement correct des nouveaux arrivants, des ressources suffisantes allouées à leur encadrement, des procédures simplifiées, etc.

Pourquoi est-ce important pour la société belge de mettre à l’emploi des jeunes issus de l’immigration ?

Julie Bodson : Parce que les jeunes en ont envie ! Mais je tournerais la question dans un autre sens. Le rôle de la société belge n’est pas de mettre ces jeunes à l’emploi mais plutôt de créer un environnement qui leur permette de travailler. Cela veut dire donner l’occasion aux jeunes de valoriser leurs compétences et de participer au développement de la société. Ces jeunes viennent tous avec des talents, des compétences, de l’envie et de la résilience. Ce sont des choses dont la société belge a bien besoin.

 

 


Cet article fait partie du projet MIND, qui reçoit le soutien financier du programme de l’Union européenne pour la sensibilisation et l’éducation au développement (DEAR). Ce contenu relève de la responsabilité de Caritas International, et ne reflète pas nécessairement la position de l’Union européenne. 

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[1]

Plus d’informations sur le projet DUO for a JOB sur leur site internet.

[2]

Par ‘jeunes issus de l’immigration’, nous entendons des jeunes de nationalité étrangère, des jeunes naturalisés belges ainsi que des jeunes belges nés en Belgique de parents ou de grands-parents nés hors de l’Union européenne.

[3]

Pourquoi mettre en avant le projet DUO for a JOB ? Parce qu’il était considéré comme une bonne pratique dans notre dernière publication « Penser une maison commune : Migration et développement ».

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