Quelle était la situation du Liban et de Beyrouth, en particulier, avant les explosions ?
Sébastien Dechamps : Il faut savoir que le Liban était déjà en crise juste avant ces explosions : l’accès aux soins de santé, à l’électricité, à l’eau… Tout cela était déjà déficient. Ajouter à cela, le coronavirus. Et, aussi, évidemment la guerre en Syrie. Mais, depuis octobre, les niveaux de corruption, de dérapage et de déficit ont fait que des mouvements ce sont mis en marche pour demander la démission du personnel politique, en dénonçant justement cette corruption énorme.
La crise politico-économique est profonde avec les finances étatiques quasiment en faillite. La dette est énorme par rapport au revenu du pays. Le gouvernement a pris des mesures mais qui ont eu pour effet de décrocher la parité historique entre le dollar américain et la livre libanaise. Aujourd’hui, un dollar américain vaut environ 10.000 LL ![1] Pour un pays qui doit tout importer, notamment la nourriture, ça a des conséquences catastrophiques sur le pouvoir d’achat des gens. Les banques ont fermé ou ont fait faillite, les investisseurs se retirent…. Et tous les petits épargnants ont l’impression que leur argent leur a été volé. Le chômage est monté en flèche alors que les prix du pain, des légumes, du lait ont explosé !
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Que font les services publics pour améliorer les conditions de vie ?
Sébastien : Justement, c’est une faillite totale de l’état. Les services étaient déjà défaillants… Donc, par exemple, à l’heure de l’explosion : il n’y avait pas d’électricité. Les gens qui peuvent se le permettre ont des générateurs mais, sans ça, l’électricité est coupée plusieurs fois par jour. L’eau ? pareil ! Même si vous êtes abonné au service public, les habitants en général doivent acheter de l’eau en plus… Donc, avant les explosions, le gouvernement était déjà remis en question par l’ensemble de la population, était déjà suspecté d’être profondément corrompu. Ajouter à cela, ces explosions de nitrate d’ammonium entreposé dans le port et l’on comprend aisément la colère de la population.
©Stefanie Glinski/CRS – Adnan Asaf, 42 ans, est assis ici dans sa maison ou plutôt ce qu’il en reste après l’explosion dévastatrice dans le port de Beyrouth.
Que signifie l’état d’urgence pour Beyrouth ?
Sébastien : « L’état d’urgence » est une mesure qui est légitime après une catastrophe de ce genre. Cela octroie des pouvoirs spéciaux à l’exécutif pendant deux semaines. Et là, maintenant, c’est l’armée libanaise qui est en charge d’organiser les secours. Dans beaucoup de pays on pourrait s’en inquiéter mais au Liban, l’armée libanaise est plus respectée que le gouvernement. Elle est composée de personnes de toutes les communautés et elle s’est montrée très courageuse par le passé. Les militaires, ce sont leurs enfants, ils viennent du peuple. L’armée pourrait se montrer plus efficace que le gouvernement afin de faciliter les secours, d’organiser et de coordonner l’aide. Néanmoins, et il faudra bien vérifier comment ça se passe, cet état d’urgence octroie aussi à l’armée le pouvoir d’influencer la liberté de la presse, la liberté de manifester, … Le risque est qu’ils limitent ces libertés au nom de la sécurité, par exemple. Il faut être très attentifs à cela.
Que fait Caritas au Liban, pour l’instant ?
Sébastien : Dans les premiers jours, tout de suite, des volontaires et le personnel de Caritas se sont mobilisés. Et ce malgré le fait que, eux aussi, ont été affectés d’une manière ou d’une autre : ils vivent aussi à Beyrouth, ont des logements détruits, de la famille touchée !
Ensuite, les premiers besoins ont été listés. Caritas Liban a rapidement mis en place un programme de première urgence pour 1 mois : donc une réponse rapide jusqu’au 5 septembre avec trois axes prioritaires : être nourri, être soigné et être à l’abri. Avoir donc un endroit où on peut dormir en sécurité. Cette réponse rapide d’urgence, nous permet d’aider pendant que nous élaborons un diagnostic plus fin de la situation, et nous permet de nous coordonner avec les autres organisations sur place. Le programme plus important en termes de financement, sortira donc dans quelques semaines et couvrira minimum 6 mois. Ensuite, après l’urgence, il faudra reconstruire.
©Caritas Libanon – Caritas a implémenté des points d’aide d’urgence dans la ville de Beyrouth. Là, les survivant-e-s peuvent y trouver de l’aide médicale, de la nourriture ainsi qu’une oreille attentive.
L’élan de solidarité, aussi, est à mettre en évidence ?
Sébastien : Tout à fait ! Il faut reconnaître cet élan de solidarité au Liban d’abord et dans le monde entier ensuite ! La mobilisation est exceptionnelle mais vraiment nécessaire parce qu’elle va devoir s’ancrer dans la durée ! En 15 secondes, d’un point de vue matériel, l’explosion a causé des effets comparables à 15 ans de guerre civile. C’est dire !
Ce qui m’inquiète, par contre, c’est qu’un grand nombre d’écoles ont été détruites. Avant les explosions, de nombreuses familles retiraient déjà leurs enfants de l’école parce qu’ils ne savaient pas payer… Mais là, dans ces conditions ? Ces enfants retrouveront ils le chemin de l’école en septembre ?
Vous aussi, faites preuve de solidarité en faisant un don aujourd’hui encore. Aidez les survivant-e-s de l’explosion via notre plateforme de dons en ligne ou sur le compte BE88 0000 0000 4141 avec la communication « 3911 Liban ».