Ces derniers mois, la situation de la Syrie et des pays voisins a disparu de nos écrans. Les objectifs se sont tournés vers les îles grecques, les Balkans, l’Allemagne. Notre regard a suivi. La semaine dernière, Cologne était au cœur des débats, l’objet de tous les amalgames. Aujourd’hui, on parle du Danemark où le gouvernement impose que les réfugiés soient dépossédés de leurs biens. Ou encore de la Suisse où des plans similaires sont échafaudés. L’opinion publique oscille entre incrédulité, compassion, colère et indignation. La solidarité semble, elle aussi, soumise à la loi des frontières.
D’où l’importance des signaux (lire ici, ici et ici) qui nous parviennent de Rome ce mois-ci. «Faisons de l’année 2016 l’année de l’engagement collectif pour le Moyen-Orient. Mobilisons-nous contre l’indifférence.» Ceci n’est pas un message facile. Comment, comme Européens, pouvons-nous le traduire en actions concrètes? Comment nous mobiliser depuis la Belgique? Comment agir en citoyens? Ce message, pourtant, est urgent. Alors que nous lancions notre campagne en septembre, nos confrères de Caritas Syrie tâchaient quant à eux de faire face à l’urgence.
Des travailleurs humanitaires eux-mêmes ont rejoint le flot de réfugiés
Pour beaucoup de nos collègues syriens et leurs familles, l’insécurité et la peur sont devenues insurmontables. Même pour eux. Eux qui se sont engagés depuis des années auprès des déplacés et des plus précarisés en Syrie, dans des circonstances difficiles, émotionnellement exigeantes, et souvent traumatisantes. Pas moins de 20 pourcents des 130 membres du personnel de Caritas Syrie (sans compter les volontaires) ont ainsi, depuis le premier août dernier, pris la décision de quitter la Syrie. Ils ont eux-mêmes rejoint le flot de réfugiés auxquels ils ont tellement prêté assistance.
Modar est l’un d’entre eux. Avec son frère et sa sœur, ils se sont enfuis de Damas. Tous trois, du haut de leurs vingt ans. « On s’occupait des enfants qui venaient à Damas après avoir fui des villages assiégés des alentours », explique-t-il. « Ils avaient vécu des choses atroces. Ils avaient peur en permanence. Ils ne voulaient jamais jouer. Mais on a réussi à gagner leur confiance à travers des jeux, et en leur parlant. » Aller au travail sous les tirs d’obus avait beau être dangereux, c’était devenu une habitude « parce que j’aimais ce que je faisais. » Modar avait quelques mois auparavant déjà dû abandonner le lycée à cause des combats.
La seconde maison de famille, à Alep où ils passaient souvent l’été, avait elle aussi été détruite. À Damas, la vie se faisait de plus en plus dangereuse. « Un tas de gens qu’on connaissait ont été tués ou blessés », poursuit-il. Avec l’intensification des combats, sa mère et son père ont commencé à envisager d’envoyer leurs enfants à l’abri, par-delà les frontières. « Le feu de mortier devenait vraiment très intense », explique Modar. « Ça devenait trop dangereux. Nos parents ont vendu leur maison de Damas pour nous payer le voyage. Ils voulaient que nous puissions vivre. Nous voulions un avenir. »
Début septembre Modar, son frère et sœur ont tout quitté. Les deux frères et leur sœur jettent un regard contrasté sur leur fuite : « Heureux d’être ici, pas heureux de finir dans une tente. Heureux d’être en sécurité, mais désespéré de voir notre pays à feu et à sang.»
Une solution pour la Syrie ne peut être que politique
Le fait que certains collègues en provenance de Syrie frappent littéralement à notre porte devrait être un signal supplémentaire. Nous détourner de ce qui se passe là-bas laisse un vide que les entreprises et organisations aux projets moins bien intentionnés peuvent occuper. En continuant à déverser des armes dans la région, par exemple. Et notre pays ne fait pas exception. Caritas International.be s’oppose explicitement à cette réalité. Une solution doit être trouvée pour la Syrie. Et cette solution ne peut être que politique.
Que pouvons-nous faire entretemps ? En tant que citoyens ? Nous pouvons continuer à interpeler nos politiciens. Au niveau local, national et européen. Grâce aux médias sociaux, par exemple. Il n’a jamais été aussi facile de rappeler leurs responsabilités à nos représentants politiques. Nous pouvons leur rappeler que des routes d’accès légales et sécurisées pour l’Europe devraient être possibles. Aujourd’hui, les réfugiés dépensent souvent leurs derniers sous dans la traversée de tous les dangers, tributaires des moyens que leur pays d’accueil pourra mettre à leur disposition. Nous pouvons rappeler aux politiciens le rôle clé que les visas humanitaires devraient pourvoir jouer. En effet, les personnes qui arrivent en Belgique grâce à ce visa peuvent grâce à ce précieux sésame voir leur demande d’asile étudiée par les autorités compétentes sans pour autant risquer leur vie. Ce ne sont là que des petits gestes. Mais la guerre cruelle qui se joue et la détresse des réfugiés massés au Moyen-Orient ou accueillis chez nous sont trop grandes pour ne pas entendre le signal qui nous vient de Rome.