L’histoire de Clémence
Aujourd’hui, huit ans après avoir du tout quitter et laisser derrière elle ceux qu’elle aimait, Clémence* a été reconnue comme réfugiée par la Belgique et…
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« Damas ? Oubliez Damas ! », s’exclame Tariq, guide touristique pendant vingt ans dans sa ville natale. Dans son esprit, la capitale syrienne n’existe plus : « Ma maison a été détruite, mes voitures aussi, il ne reste plus rien du quartier dans lequel nous vivions. » Il y a trois ans, la guerre en Syrie les a faits fuir en Jordanie.
En Jordanie, Tariq a travaillé six mois dans une agence de voyage. La situation s’est vite compliquée : les emplois étant de plus en plus réservés aux Jordaniens, il fallait obtenir des autorisations spéciales pour pouvoir travailler. L’employeur de Tariq devait payer l’équivalent de 1.000 € pour lui obtenir un permis de travail. Le frère de Tariq et sa famille avaient déjà fui et s’étaient établis en Allemagne. Il hésite longtemps, et puis se décide à reprendre la route, direction l’Allemagne.
« Le voyage de la mort, comme on l’appelle entre nous. On a réchappé trois fois à la mort », raconte-t-il, incrédule. Le périple a duré deux semaines : à pied, en bateau, en bus, en train. « Certains ont même emprunté des vélos. » Le voyage lui aura couté 2.000€. Sa femme et sa fille sont restées en Jordanie.
Après être passé par les Balkans, la Hongrie et l’Autriche, Tariq, la petite cinquantaine, atteint enfin l’Allemagne – sa destination finale. Du moins, c’est ce qu’il pensait. « On a été bien accueillis en Allemagne. La nourriture était bonne, et on avait un toit au-dessus de nos têtes. » Mais on annonçait plusieurs mois d’attente avant d’obtenir le statut de réfugié, la principale source d’inquiétude de Tariq, qui espérait être rapidement rejoint par sa femme et sa fille. Voilà donc ses plans chamboulés !
Une alternative providentielle s’offre à lui « Un homme se présentant comme un émissaire du gouvernement belge est venu nous rencontrer au camp. Il voulait savoir si nous étions intéressés de poursuivre notre route jusqu’en Belgique, où notre procédure ne devrait pas dépasser quelques jours. » L’homme laisse un numéro de téléphone, une carte de visite et précise qu’il faut que Tariq prenne rapidement une décision. L’invitation tente le père de famille, même s’il n’a jamais entendu parler de la Belgique. La perspective de retrouver sa famille rapidement le séduit… il hésite « Aller en Belgique ? Quitter l’Allemagne ? », pour finalement se laisser convaincre par un ami avocat. Et à son tour, il persuade son beau-frère et quatre de ses cousins de quitter l’Allemagne.
« Quelques jours plus tard, on est montés dans un bus. Après 7h de voyage, on était devant l’Office des Etrangers à Bruxelles où on nous a fait entrer par une porte latérale. » La paperasserie, les interviews, le contrôle médical et l’enregistrement, tout s’enchaine très vite. Pas le temps de comprendre ce qui leur arrive. Pourtant le doute d’avoir fait le bon choix subsiste. « Le soir même, on reprend le bus ! » avec un dossier à l’intérieur duquel Tariq trouve un document et une note écrite à la main : « Date de l’interview : à déterminer plus tard. »
L’homme se frotte les genoux qui le font souffrir depuis quelques jours : « c’était un long, un très long voyage. Et maintenant, nous sommes ici ». Ici, c’est la terrasse bétonnée d’une caravane dans un camping en région liégeoise. Fedasil a trouvé des gestionnaires de campings prêts à allonger la saison pour accueillir des demandeurs d’asile en attente de leur statut de réfugié. « Depuis que nous sommes ici, nous n’avons plus de nouvelles de Bruxelles. Ce n’est pas facile. Jusqu’il y a peu, je caressais l’espoir de revoir rapidement ma famille. Je commence à broyer du noir et à me demander si j’ai pris la bonne décision. Comment expliquer la situation à mes cousins ? » Sufjan vient s’asseoir à table, il distribue des verres en plastique et y verse du jus de fruit. « Je les ai emmenés avec moi, jusqu’ ici, en Belgique, je me sens responsable d’eux, et l’attente est tellement longue ». Amin, son beau-frère se joint à la conversation. L’homme tend son téléphone avec le sourire. Sur l’écran, on y voit deux petites filles endormies l’une contre l’autre. « A Kartoum », dit-il. En effet, pendant la guerre, Amin a aussi voulu mettre sa famille à l’abri. Il a donc fui vers la capitale soudanaise. Il ne l’a plus vue depuis plusieurs mois. Sufjan fait de même et montre ses deux garçons « Ce sont mes fils, ils sont toujours à Damas ». Ils s’appellent souvent. Des photos s’échangent entre Amman, Kartoum, Damas et Liège.
Les hommes autour de la table obtiendront vraisemblablement leur statut de réfugié reconnu. Mais tant que rien n’est écrit noir sur blanc, les journées et les nuits au camping semblent interminables. L’incertitude régnante et l’ennui montant commencent à les ronger.
« Nous étions nombreux dans le bus qui nous a amenés ici. Nous nous sommes rapidement sentis en famille ici, entre réfugiés ». Tariq raconte à quoi il occupe ses journées. Grâce à sa bonne connaissance de l’anglais appris au fil de ses nombreuses années de guide touristique, il est devenu le traducteur officiel du camping et peut ainsi faire le lien entre les demandeurs d’asile et les collègues de Caritas. Et les besoins sont énormes : il est présent pour expliquer des questions pratiques, médicales, juridiques.
Aujourd’hui, 285 personnes sont accueillies au camping. Le temps reste sec mais les nuits se refroidissent. Tariq a hâte de partir, mais veut avant tout avoir la sécurité de retrouver rapidement sa famille. « J’ai entendu qu’Anvers était une ville agréable ? Je pourrais y être utile ? »